"Créer me permet de mieux comprendre Dieu"

Cet article a initialement été publié dans le magazine Prisme #2 en novembre 2021 : https://www.majestart.com/produits/prisme-mag-2/
INTERVIEW | Doux provocateur à la recherche de créativité, de sincérité et de poésie... A la fois artiste, producteur de musique, réalisateur de vidéos et directeur artistique (notamment chez Imago Dei), Estienne Rylle utilise sa double casquette (musique et image) autant dans un contexte séculier que pour des projets chrétiens.
Son parcours, bac Cinéma puis fac de Musicologie, témoigne de ce double intérêt depuis toujours.
Aujourd'hui, son studio de création musicale et visuelle Nuit Pure est basé à Paris, dans la crypte du temple du Marais. Il y a quelques années, sa conversion, au sein d'une détresse profonde, l'a fait crier à Dieu. Jésus s'est révélé à lui en une phrase: "C'est la joie qui gagne...". Entre profondeur et mélancolie, sa manière de travailler s'est appropriée le regard de l'Ecclésiaste sur le monde : "Tout est vanité, mais crains Dieu"...
Estienne, comment arrives-tu à transmettre le message chrétien sans faire la morale ?
De manière générale, je crois que les artistes sont là pour questionner, faire réfléchir, sans apporter de réponse directe. J'essaie d'être exigeant envers moi-même pour pouvoir questionner ma propre culture et intégrer mon message, ma vision de l'être humain. Je suis plutôt critique sur le monde artistique chrétien qui me semble souvent vouloir convaincre. Malgré nos belles intentions, beaucoup d'entre nous veulent apporter tout de suite une réponse, ce qui peut parfois être agaçant. N'oublions pas qu'à chaque fois que l'on posait une question à Jésus, il répondait avec une autre question !
"Je crois que les artistes sont là pour questionner...
N'oublions pas qu'à chaque fois que l'on posait une question à Jésus,
il répondait avec une autre question!"
Est-ce que tu crées toujours avec l'idée de passer ton message d'une belle manière ou tu crées aussi pour le plaisir, pour toi ?
Créer est une nécessité pour moi car le processus créatif me permet de mieux comprendre Dieu et de mieux me comprendre. Je pense qu'il y a une énorme différence entre l'artiste qui est là pour partager ses questionnements, et le communiquant qui fait passer un message. Les deux sont tout à fait valables mais je préfère amener le public à traverser un espace émotionnel avec moi pour s'interroger sur les grandes questions de l'existence comme notre rapport au temps, à la réconciliation, à la foi... Bref, pointer ensemble les yeux vers le ciel et voir ce qu'il se passe.
Comment partages-tu ton temps entre ton engagement pour le Royaume et l'aspect nécessaire de devoir travailler pour subvenir à tes besoins ?
J'ai la chance de ne pas particulièrement me poser la question car j'ai la sensation que Dieu me place dans tous les projets que je mène. Les projets qui me rémunèrent correctement me permettent de passer du temps sur d'autres dont les moyens sont plus limités. C'est un doux équilibre dont j'ai laissé la gestion à Dieu.
Cependant, une particularité de mon quotidien réside dans le fait que mon lieu de travail est un petit studio d'enregistrement situé dans la crypte du Temple du Marais à Paris. Du coup, la frontière entre église et travail est sans doute moins franche pour moi que pour d'autres. D'ailleurs, cela a contribué à la naissance du projet musical et spirituel "Epiclèse", sorti en novembre 2020, un livre-album de louange produit par le Temple du Marais que j'ai mené avec l'équipe de l'église. Un projet qui m'a fait prendre conscience que le rôle de l'Eglise est surtout de vivre l'évangile ensemble plutôt que de créer des super productions artistiques, ce qui n'enlève pas l'importance d'être exigeant mais qui permet de relativiser beaucoup de choses.
Te considères-tu comme un artiste chrétien ?
Je me considère comme un artiste, comme un chrétien, mais pas comme un "artiste-chrétien' dont l'étiquette sous-entend souvent que le public auquel on s'adresse se trouve dans l'église. J'affectionne particulièrement les thématiques bibliques, comme la conversation que j'ai abordée dans mon premier EP, Saved, ou la réconciliation dans mon second EP, Promised, mais je veux en parler de manière universelle.
"J'affectionne particulièrement les thématiques bibliques mais je veux en parler de manière universelle."
Dans mon travail pour les autres, j'essaie de mettre en valeur l'être humain dans son entièreté, j'allais dire dans sa pureté, ce qui apporte un regard singulier vis-à-vis d'autres réalisateurs ou directeurs artistiques dans le monde.
Estienne, quel encouragement veux-tu laisser aux lecteurs de Prisme ?
Dans notre parcours artistique, essayons de mettre de côté les dichotomies chrétien/non-chrétien, pour l'Eglise/pas pour l'Eglise et cherchons à nous former et confronter nos exigences à celles des milieux de l'art qui nous entourent. Cela nous permettra d'ancrer notre propos dans la culture et affiner notre vocabulaire et notre langage artistique pour nous adresser à nos contemporains d'une façon renouvelée, surprenante et subversive !